Avant de commencer, cet article ne concerne pas seulement Kevin Love et n’est pas censé vous convaincre que Love est un excellent défenseur NBA. Parlons plutôt de l’idée qu’on se fait de la défense au basketball, et plus précisément en NBA.
Très souvent, les fans de basketball ainsi que les analystes parleront en détail des exploits offensifs de certains joueurs ou certaines équipes, décrivant les différents systèmes utilisés ainsi que les qualités requises pour y parvenir. C’est rarement le cas pour la défense.
Trop souvent voit-on des raccourcis simplistes pour parler de défense. « Il faut faire plus d’effort », « pas assez d’énergie », « il ne conteste pas le tir ». Ces phrases reviennent souvent et suffisent généralement à juger de la qualité défensive d’un joueur. Mais la capacité à défendre ne se limite pas à cela.
Tout comme pour l’attaque, la défense requiert une certaine technique, une stratégie et un ensemble de différentes compétences. Rien que dans la manière de contester un tir, on peut voir une technique travaillée. De même pour les rotations défensives qui nécessitent une synchronisation parfaite avec ses coéquipiers. On peut également parler du placement d’un intérieur dans la raquette afin de contester des tirs et éviter d’accumuler les fautes.
Sans tout énumérer, vous voyez l’idée générale.
Le problème avec l’efficacité défensive se trouve dans sa mesure. Contrairement à l’attaque, les outils ne sont pas très nombreux pour évaluer la défense. Et s’il en existe, notre connaissance du jeu est trop limitée pour que ces outils soient assez précis. La défense en NBA ne se limite plus à la zone ou à l’homme à homme.
Il existe des tirs que les coachs admettent vouloir céder à l’adversaire afin d’empêcher d’autres menaces potentielles. Ces tirs fréquemment « abandonnés » sont statistiquement les moins efficaces et proviennent de la zone à mi-distance. Les tirs menaçants se trouvent à l’intérieur et à trois points. En partant de là, on peut se douter que la simple mentalité « jouer dur, jouer énergiquement » ne suffit plus. Il faut jouer intelligemment.
Observons l’action suivante.
Au cours de cette séquence, aucune statistique positive ne sera inscrite pour Cleveland. Pourtant, il s’agissait d’une très bonne défense et d’un plan bien exécuté. Et si le Thunder était amené à prendre le même shoot 10 fois de suite, ce serait le meilleur scénario possible pour les Cavaliers.
Durant cette vingtaine de secondes, la défense des Cavaliers a fermé la raquette et a empêché la pénétration au meneur d’Oklahoma City. Elle a aussi empêché la possibilité à ses coéquipiers de déclencher un tir à trois points, contenant les menaces présentes sur le terrain. Au final, le tir à mi-distance de loin reste un point positif. Aucun contre, aucune interception, mais une stratégie défensive plus qu’adaptée sur le cours d’un match.
Voilà pourquoi la mesure statistique de la défense en NBA peut poser problème sur l’opinion qu’on se fait d’un joueur ou d’un collectif. Car cette action n’est qu’un échantillon d’une réalité plus grande.
Autre exemple : comme pour l’attaque avec des écrans bien posés, les bonnes rotations en défense passent inaperçues car il est difficile de les mesurer statistiquement. En effectuant une bonne rotation, un défenseur peut empêcher une potentielle passe décisive vers un shooteur ouvert. C’est une action qui ne s’est pas produite et qui ne se fait généralement pas remarquer lors d’un match (ce qui est normal vu le rythme auquel va le jeu NBA).
Mais si l’apport défensif est si difficile à mesurer, comment est-ce qu’une distinction entre Draymond Green et Kevin Love peut être facilement faite par le grand public ? Comment mesurer le niveau défensif et les qualités défensives de deux joueurs sans se contenter des statistiques de base ?
Tout d’abord, ce que l’œil voit lors d’un match joue un grand rôle. Lorsque l’on voit Golden State jouer, on ressent la présence de Green en défense. Il n’éprouve quasiment aucun problème à switcher sur pick and roll afin de défendre sur un arrière. On le voit également à l’interception et au contre, ce sont des choses qui marquent les esprits lorsqu’un match se termine.
La différence avec Love, c’est qu’on ne voit pas l’intérieur des Cavs défendre aussi souvent sur des arrières. Il en est incapable donc les Cavaliers font en sorte que ce scénario se produise le moins possible (là encore, c’est une chose qui ne se produit pas, mais qui donne une information sur les capacités du joueur).
Malheureusement, la défense ne faisant pas d’éclats en dehors des contres spectaculaires, rares sont les actions soulignées dans ce département. Il est beaucoup plus facile de pointer du doigt les erreurs grotesques que les bonnes prises de décisions. Prenons l’exemple des Vines qui circulent sur les réseaux sociaux.
Quelques secondes suffisent à se faire une idée, correcte ou non, du niveau d’un joueur en fonction de l’absurdité de son action. C’est ainsi que fonctionne la réputation, qui se base sur l’opinion publique.
Prenons Kevin Love comme exemple. L’opinion générale s’accorde pour dire qu’il est plutôt médiocre défensivement, ce qui est correct. Il s’est d’ailleurs bien fait avoir contre Golden State sur une mauvaise action défensive.
Tout comme pour un pivot qui se prend un poster sur la tête, cette seule action ne suffit pas à définir le niveau de Love en défense. Il faut aller plus loin dans l’observation avant de tirer des conclusions.
L’idée derrière cette décision de Love de s’avancer autant était d’empêcher un tir à trois points de Stephen Curry. Cependant, il a complètement raté son placement au début de l’action, en reculant bien trop loin dans la raquette. Le terrain à parcourir avant d’empêcher la passe de Curry pour son intérieur est trop important, ce qui le laisse perdu en plein milieu de l’action. On peut également souligner le manque d’effort de Kyrie Irving sur l’écran.
Que peut-on en conclure sur Love et sa défense ? C’est le signe d’un manque de concentration, ce qui revient occasionnellement chez lui. Son manque de vitesse est mis en évidence lorsqu’il essaie de remonter sur Curry. Les Warriors savaient exactement quel aspect de la défense des Cavaliers exploiter avec Love sur le terrain.
Revenons sur les moyens d’évaluer le niveau d’un joueur. Il existe certaines statistiques utiles pour nous donner une indication de son impact en défense, comme le defensive rating (nombre de points encaissés en moyenne sur 100 possessions) ou bien le DFG% (le pourcentage au tir des adversaires d’un joueur en fonction de leur moyenne habituelle). Ce ne sont pas des garanties, ni mêmes des certitudes, mais un indice pour nous guider dans l’analyse du niveau d’un joueur. (source : stats.nba.com)
Tout n’est pas négatif pour Kevin Love en défense. En se basant sur les statistiques citées ci-dessus, sa combinaison avec Tristan Thompson (défenseur bien plus actif que Nikola Pekovic) est un grand succès depuis son arrivée à Cleveland. Lorsque les deux intérieurs jouent ensemble aux postes 4 et 5 cette saison, les Cavaliers affichent un defensive rating de 98.8.
Dans une situation de défense individuelle, Love reste correct sans être excellent. Depuis le retour de Iman Shumpert le 10 décembre, Love maintient ses adversaires directs à 53.8% au tir à moins de deux mètres du panier, contre 59.4% habituellement (indicateur d’une relative bonne défense proche du panier). En revanche, ses adversaires rentraient 46.3% de leurs tirs à trois points durant cette période, au lieu de 37.8% habituellement (indicateur d’une difficulté à défendre sur le périmètre).
C’est à l’intérieur que les Cavaliers le veulent, car Love n’est pas un défenseur efficace lorsqu’il se retrouve à poursuivre son joueur à travers des écrans et à défendre sur le périmètre. La clé pour l’équipe n’est pas de transformer Love en un excellent défenseur, mais de l’entourer de suffisamment bons joueurs dans ce secteur pour tirer un maximum de ses qualités limitées.
C’est pour cette raison que les combinaisons avec LeBron James au poste 4 et Kevin Love au poste 5 ont souvent fonctionné. De même avec Tristan Thompson au poste 5, mais qui est lui capable de défendre sur le périmètre en cas de besoin.
Voilà un autre facteur à garder en tête lorsque l’on parle de défense : le contexte. Ce n’est jamais véritablement un problème individuel. On peut en revenir à la question de l’effort et du niveau d’implication du joueur concerné, bien sûr, mais il s’agirait d’une réflexion affreusement limitée.
Pourquoi est-ce que le coaching staff préfère Matthew Dellavedova à Mo Williams depuis le début de la saison ? Pourquoi est-ce qu’à Utah, Raul Neto se retrouve titulaire à la mène à la place de Trey Burke ?
Il se trouve que Dellavedova et Neto ont des caractéristiques en commun : ils savent tous les deux défendre correctement sur les postes arrières, et en plus d’être de bons shooteurs de loin, ils limitent le nombre de fois où leur intérieur sera exposé et forcé à contester un tir. Ils sont dans une situation où leurs qualités sont pleinement exploitées.
Certes, Rudy Gobert est le meilleur protecteur de la ligue au panier, mais il ne défend « que » 8,7 tirs par match dans la raquette. Lorsqu’une équipe dispose d’un très bon protecteur comme Gobert, une grosse partie du travail d’un coach est de contenir la pénétration adverse. Son rôle est de ne pas le sur-exposer en maintenant une bonne défense sur le périmètre.
Il s’agissait également du cas de Timofey Mozgov la saison dernière, et encore parfois cette saison. Cela dit, sans sa réactivité, il n’est devenu qu’un protecteur moyen lorsque ses arrières se font battre sur le périmètre.
Pour en revenir à l’argument principal, une bonne défense individuelle dépend des conditions qui entourent le joueur. Ça a toujours été le cas et ce sera toujours un argument de poids lors d’une discussion concernant la valeur d’un joueur défensivement.
On ne peut pas mesurer une bonne défense sans prendre en compte le système dans lequel il évolue, les consignes qu’on lui a donné, la manière dont l’équipe adverse l’attaque et bien sûr, les outils physiques et techniques du joueur même.
A Cleveland, Kevin Love se retrouve parfois dans des situations de désavantage. Il se retrouve aussi parfois à son aise dans un schéma défensif lui correspondant. Limiter son niveau à une seule action ne semble pas très avisé, tout comme résumer la défense à une simple question d’effort.
La défense en NBA n’est pas aussi souvent examinée que l’attaque. Mais peut-être qu’on devrait s’y attarder plus souvent, car il reste encore beaucoup de questions sans réponses dans ce secteur.