Nous sommes le Samedi 27 Janvier 2018, après 2h53 d’un combat inégal mais intense, Caroline Wozniacki, après deux derniers points titanesques, s’effondre de joie sur la Rod Laver Arena. A ce moment précis, tout laisse suggérer que des milliers de pensées doivent assaillir la Danoise, nous pouvons penser que la reprise du trône de la WTA est très, très loin dans son esprit. A 27 ans, Wozniacki tient enfin son Graal : un titre du Grand Chelem.
Talentueuse mais irrégulière, précoce et annoncée comme le renouveau du tennis féminin, mais incapable de confirmer, elle aura symbolisé à merveille ce qu’est le tennis féminin depuis une dizaine d’années. Si l’on excepte Serena Williams, la WTA n’a fait qu’annoncer de futures stars, consacrer de futures reines, avant de les voir perdre leur couronne aussi vite qu’elles l’avaient glanée. Au milieu d’un circuit en pleine anarchie où les éliminations surprises furent si fréquentes qu’elles n’eurent, au final, plus rien de surprenant, la toute nouvelle numéro 1 mondiale porte sur ses épaules les espoirs d’un renouveau du tennis féminin. Plus épique, plus disputé, plus homogène. Depuis 12 mois, et encore plus sur les quatre dernières levées du Grand Chelem, la WTA propose un spectacle supérieur au tennis masculin, avec comme point d’orgue, ce duel au sommet entre les deux premières joueuses du classement WTA, avec comme enjeu la place de numéro1 mondiale.
Alors, trêve passagère ou véritable changement ?
313 semaines. Six ans. C’est le temps qu’il aura fallu à Caroline Wozniacki pour reprendre son trône, lâché après l’Open d’Australie 2012. Pour la 68ème semaine de sa carrière, elle trônera tout en haut du classement WTA. 68 semaines, un chiffre loin d’être anodin, cela la classe au 9ème rang des joueuses ayant été le plus longtemps numéro un mondial dans l’Ère Open. Devant elle ? Steffi Graff, Martina Navratilova, Serena Williams, Chris Evert, Martina Hingis, Monica Seles, Justine Henin et Lindsay Davenport. Huit joueuses qui cumulent 105 titres du Grand Chelem en simple. Colossal.
Si l’on prend le top neuf chez les hommes, le gratin est tout aussi royal : Roger Federer, Pete Sampras, Ivan Lendl, Jimmy Connors, Novak Djokovic, John McEnroe, Rafael Nadal, Bjorn Borg et André Agassi, pour un total de…102 titres du Grand Chelem.
Parmi ces 18 joueurs et joueuses, 17 légendes (16 du moins, la place de Lindsay Davenport peut être contestable), et une intruse : Caroline Wozniacki. Il y a 3 mois, elle ne comptait aucun Grand Chelem, aucun Masters, et seulement deux finales majeures. Comment, avec un palmarès si peu fourni, son nom peu-il se retrouver auprès de telles légendes ?
Le premier facteur reste sa régularité : En 2010 et 2011, elle remporte 12 titres WTA et joue trois demi-finales de Grand Chelem. Mais surtout, elle profite d’une période incroyablement ouverte dans le tennis féminin. Paradoxalement, c’est avant (en 2009) et après (en 2014) qu’elle joue ses deux finales de Grand Chelem. A Cette époque, Wozniacki est la leader « par défaut », la presse pointe du doigt son absence dans les grands rendez-vous, et sa place sauvegardée à coup de bons résultats dans les tournois de seconde zone. Avant 2017, elle n’avait joué « que » six demi-finales de Grand Chelem. A titre de comparaison, c’est autant que Radwanska, et seulement une de plus que des joueuses comme Stosur ou encore Li Na. C’est presque quatre fois moins que Venus Williams et ses 23 demi-finales en Grand Chelem. Et pourtant la danoise peut se targuer d’une plus longue période au sommet de la pyramide que l’ainée des sœurs Williams.
Wozniacki fut pendant longtemps « la joueuse tombée au bon moment ». Avec 48 demi-finalistes en Grand Chelem différentes entre 2008 et 2017, jamais le tennis féminin n’avait été aussi ouvert. Sur la même période, les hommes ne comptent que 30 joueurs ayant atteint le dernier carré. Certes le big four tronque ces statistiques, mais la WTA a perdu de sa superbe durant cette période. Le manque de hiérarchie a fini par peser, la vérité d’un jour pouvait être inverse à celle du lendemain. Une loi commune à tous les sports, mais poussée à son paroxysme dans le tennis féminin. Des matchs décousus, des tops 5 sorties régulièrement en première semaine et une qualité globale décevante.
Mais si nous incluons 2017 dans ces statistiques, beaucoup de choses ont changé en un an. D’abord, le circuit ATP a perdu de sa superbe. Sur les quatre dernières levées du Grand Chelem, trois finales à sens unique. Surtout, peu de grands matchs à suspens. Lors du dernier Open d’Australie, la finale, bien qu’inégale, a sauvé le tournoi d’un marasme total. La jeune génération ne tient pas la cadence en Grand Chelem, et les absences de Novak Djokovic et Andy Murray se font ressentir. Si Roger Federer et Rafael Nadal, revenus d’entre les morts, jouent les sauveurs, ils sont les arbres qui cachent la forêt.
Cependant, le tennis féminin a retrouvé de sa superbe. Avec comme meilleur second rôle, Simona Halep, numéro un mondial fin 2016, et vaincue admirable, à Melbourne donc, contre Caroline Wozniacki, ou encore à Roland Garros, dominée mais combative, puis finalement écrasée par la puissance ahurissante de Jelena Ostapenko. La Lettonne, véritable vent de fraicheur venu de l’Est, a déferlé sur Roland Garros, créant une « hype » rappelant celle de Gustavo Kuerten, 20 ans auparavant. A cela, nous pouvons rajouter la finale Serena/Venus à Melbourne, pour un retour vers le futur, ou encore le dernier carré 100% américain à Flushing Meadows. Et pour finir, donc le retour en grâce de Caroline Wozniacki, vainqueur du Masters, puis de son premier Grand Chelem.
Personnellement, j’ai longtemps pensé que le principal problème du tennis féminin, était indépendant de sa volonté. En effet, en jouant les Grand Chelem en deux sets gagnants, les chances de « Upset » sont beaucoup plus prégnantes, surtout lorsque la hiérarchie n’est pas vraiment établie. Les faux-pas peuvent devenir monnaie courante. En trois manches gagnantes, battre Roger Federer, Rafael Nadal ou Novak Djokovic lorsqu’ils sont en forme, relève de l’exploit. En deux manches gagnantes, si la tâche n’en devient pas aisée, elle est, du moins, plus abordable.
Mais, paradoxalement, depuis un an, c’est précisément cette différence entre homme et femme qui rend les matchs WTA plus épiques, plus stressants, plus incertains, et, au final, plus intéressants. Caroline Wozniacki l’a dit elle-même. Menée 5-1 40/15 par la croate Jana Fett au 2ème tour, « elle était dehors ». Et pourtant, c’est bien elle qui a fini par remporter le jeu, puis le match, puis le tournoi. Simona Halep vainqueur 16/14 en 8ème et 9/7 en demi, peut également se targuer d’avoir su trouver des ressources mentales incroyables.
Les matchs exceptionnels, que ce soit par leur niveau, leur intensité, ou leur dramaturgie se multiplient chez les femmes depuis un an. Chez les hommes ? Sur les 4 derniers Grand Chelem, excepté Del Potro-Thiem à l’US Open et Nadal-Muller à Wimbledon, aucun match n’a énormément marqué. Si les triomphes de Nadal et Federer sont évidemment rentrés dans l’histoire, c’est uniquement pour leur portée historique, et en aucun cas pour le match en lui-même. Alors, les courbes s’inversent elles ? Peut-on espérer revivre la folie des années 80-90 dans le tennis féminin ?
Il est peu probable que les courbes se croisent durablement. La période particulière de transition dans le tennis masculin ne durera qu’un temps. Mais, même si la compétition n’existe pas entre le circuit ATP et le circuit WTA, il est certain que le tennis masculin attirera moins les lumières lorsque le Big Four n’y brillera plus, ce qui semble se rapprocher de plus en plus. Ce sera alors l’occasion pour le tennis féminin de trouver sa nouvelle égérie, pour prendre le flambeau de Steffi Graff, Martina Navratilova ou encore Serena Williams, véritables superstars du tennis, qui comptent parmi les sportives les plus illustres de l’histoire.
Est-ce que ce sera Caroline Wozniacki ? C’est tout le mal que l’on lui souhaite, mais les chances semblent minces. Cependant, la Danoise a, grâce à son titre à Melbourne, remis certaines choses en place. Non, elle n’était pas une joueuse moyenne. Non, elle n’a pas été 67 semaines numéro Un mondiale par accident. Revenir six ans après au sommet du tennis mondial est une performance titanesque, physiquement et surtout mentalement. Si elle ne fait pas partie des légendes, elle est sans aucun doute une grande championne. Surtout, elle semble pouvoir être à l’origine d’un nouveau chapitre du tennis féminin. Quoi qu’il en soit, ce problème n’est pas le sien. A 27 ans, la Scandinave a mis fin à une immense frustration, débutée en 2009. Et allongée sur le même béton brulant, c’est bien à cela, et uniquement à cela, qu’elle a dû penser lorsque la balle de Simona Halep a terminé sa course dans le filet.