Incroyable mais vrai: après une myriade d’intersaisons en demi-teinte, voire franchement calamiteux, les Kings viennent de signer coup sur coup George Hill, Zach Randolph et Vince Carter.
Tous correspondent à l’archétype du vétéran courtisé. Le meneur n’a connu que des organisations extrêmement professionnelles. L’intérieur que l’on croyait toxique, à son arrivée à Memphis, a grandement contribué à la maturation des Grizzlies après avoir connu l’enfer new-yorkais. Quant à Vince Carter, sa place garantie au Hall-of-Fame ne l’a pas dispensé de se muer en mentor, rôle qu’il semble affectionner au point d’étudier la possibilité de se reconvertir en coach lorsque l’heure de la retraite aura sonnée.
Toutefois, des voix se sont élevées pour remettre en question cette orientation.
Alors que leur choix de Draft du cru 2019 ne leur appartient plus, était-il bien sage de se prémunir d’un tanking susceptible d’attirer une future superstar par leur sélection estampillée 2018?
Peut-on qualifier de judicieux la signature de vétérans qui sacrifie la flexibilité salariale requise pour récupérer des actifs en débarrassant les autres franchises de contrats encombrants?
N’est-il pas fondé de craindre que Sacramento ne se relève trop vite et demeure dans la moyenne avant d’avoir pu mettre la main sur un joueur majeur de la ligue, sans espoir d’hausser ses ambitions?
Si les réserves des partisans du tanking demeurent parfaitement intelligibles, la stratégie des Kings se justifie. Exceptionnellement, serait-on tenté d’ajouter.
Pour légitimer l’orientation choisie par Sacramento, il s’agira de définir sa position vis-à-vis du tanking par le biais de la triangulation: réservoir de la cuvée 2018, a priori, état des lieux de la concurrence du tankathon, revue de l’effectif de Vlade Divac.
La cuvée
Une Draft propose grossièrement un éventail de superstars potentielles, par là il faut lire identifiées comme telles, dont le nombre oscille de zéro à trois au temps de la cérémonie. La sélection d’Anthony Bennett illustre le pire scénario tandis que la triplette Andrew Wiggins – Jabari Parker – Joel Embiid offre l’exemple de la situation la plus favorable. Une édition standard compte un joueur de cette trempe, le premier choix, voire deux.
Toutefois, la décision de se lancer dans le tanking est prise en amont, et doit être amorcée de préférence à la faveur d’une promotion favorable. A une année de la cérémonie, rares sont les spécialistes à annoncer plus de deux jeunes basketteurs de très haut calibre. Un élément tend à se détacher même si les rivalités Nerlens Noel – Shabazz Muhammad ou Jabari Parker – Andrew Wiggins traduisent une incertitude a priori quant au talent précoce le plus prometteur. La cuvée 2017 se distingue d’ailleurs en ce que les candidats au premier choix étaient multiples à une saison de l’échéance, d’Harry Giles à Jayson Tatum en passant par Markelle Fultz et Dennis Smith Jr.
Les Kings disposeront en 2018 de leur dernier choix de Draft avant la rançon de 2019 qui coupera leur entreprise de reconstruction. Néanmoins, la promotion sur laquelle ils auront un droit de regard ne se caractérise pas par un nombre vertigineux de superstars potentielles. Pour s’en convaincre, la première projection de Draftexpress reste le meilleur outil. Miles Bridges, ailier très talentueux de Michigan State se trouve à la cinquième position tandis qu’il n’aurait pas été pris cet été avant le septième choix, et peut-être plus bas encore. Dans une édition standard, cette place n’est pas usurpée mais exiger du joueur qu’il devienne un des meilleurs de la ligue semble une attente trop pesante pour le prospect.
De même, l’incertitude plane autour de ses quatre prédécesseurs. Parmi eux, la pépite européenne Luka Doncic affiche un niveau de jeu phénoménal. Or, Kristaps Porzingis fait figure d’exception dans l’histoire de la NBA. Choisi seulement en quatrième place, il a su opérer la transition avec le jeu américain. Combien d’Andrea Bargnani, d’Andrew Bogut – certes australien -, de Darko Milicic se sont cassés les dents aux deux premières positions?
Le Slovène y côtoie deux pivots.
Mohamed Bamba a époustouflé les observateurs par ses qualités techniques au-dessus de la moyenne mais sa passion pour la balle orange, moteur de la réussite, s’écrit entre parenthèses.
Que dire de DeAndre Ayton? Fort d’un profil physique impressionnant, le natif des Bahamas a été propulsé talent le plus prometteur depuis plusieurs années… faute de mieux. Il n’a d’ailleurs pas tardé à céder son trône à la révélation d’un prospect plus intéressant. A l’image de Bamba, Ayton ne donne pas toujours toute l’énergie requise sur le parquet pour faire gagner son équipe alors qu’il a tous les moyens pour dominer ses adversaires.
La maturation des pivots reste certes plus longue mais l’indolence est le premier frein à la pleine exploitation du potentiel d’un joueur.
Pour résumer, la seule valeur « sûre » identifiable à ce jour n’est autre que Michael Porter, soit un unique joueur. En outre, tandis que le duel Wiggins – Parker engageait au tanking assumé par un groupe alléchant de poursuivants à une année du but – Aaron Gordon, Julius Randle, Marcus Smart et Dante Exum -, l’ailier estampillé 2018 n’est pas confronté, pour l’heure, à pareille concurrence.
La concurrence
En revanche, la course au pire bilan sportif, communément appelé tankathon, s’annonce plus relevée que jamais. Si les Lakers enregistrent le renfort de Brook Lopez, la première campagne de Lonzo Ball risque d’être périlleuse. Outre l’adaptation nécessaire au niveau professionnel, il sera visé par tous les meneurs adverses soucieux de prendre en main le rejeton de LaVar Ball.
Les Pacers ont frappé un grand coup en se séparant de Paul George, avant de couper Monta Ellis tandis que Jeff Teague a filé du côté de Minnesota. Le paysage d’Indiana est décimé.
Les Hawks n’ont fait aucune offre à Paul Millsap après avoir bazardé Dwight Howard. Les deux All-Stars Kyle Korver et Demarre Carroll avaient déjà pris la porte précédemment. L’expertise de leur entraineur sera un handicap mais n’entame pas une candidature séduisante.
A ces trois prétendants illustres s’ajoute une panoplie de formations à même de décrocher le Graal, avec des ambitions inégales: les Pistons, Knicks, Magic et autres Suns.
Dans ce contexte, l’arrivée de Vince Carter, Zach Randolph et George Hill amoindrit les chances de Sacramento. Toutefois, rien ne garantissait que l’équipe finisse nécessairement parmi les trois bonnets d’âne de la ligue, et elle aurait encore pu subir la loterie et se retrouver au cinquième rang, par exemple.
Dans le même temps, les trois vétérans ne compromettent pas complètement les chances des Kings. Au sein de la conférence Ouest, ils auront l’occasion d’affronter de multiples fois quatorze adversaires dont seuls deux ne semblent pas crédibles (les Suns et les Lakers). A l’inverse, la conférence Est verra s’affronter beaucoup d’équipes médiocres, ce qui réduit les chances que l’une d’entre elles parvienne à perdre systématiquement. Du point de vue de Sacramento, la formation s’exposait à battre les Suns ou les Lakers sans ces recrues de toute façon. Une saine gestion des rotations pourrait également aider la franchise… L’enjeu résidera donc dans le croisement, c’est-à-dire dans les affrontements avec les concurrents directs du tankathon qui seront à la portée des Kings nouvelle formule mais un sursaut d’équipes pérennes telles que les Pistons ou le Magic pourrait arranger les affaires des violets.
La revue d’effectif
Enfin, les dernières finales ont opposé une escouade menée par deux premiers choix de Draft à une armada composée de joueurs moins cotés à leur entrée dans la ligue: outre Kevin Durant (n°2), Stephen Curry (n°7), Klay Thompson (n°11), Draymond Green (n°35). Avec l’effectif en place, les Kings peuvent espérer un choix situé dans la fourchette 5-10. Un tanking plus assumé aurait augmenté les probabilités d’obtenir un top 3 mais le résultat final eut pu s’écrire sous la forme du cinquième pire bilan.
Sacramento conserve donc l’opportunité d’ajouter un joueur majeur à son effectif (Miles Bridges?).
Vlade Divac et ses hommes sont par ailleurs en droit d’affirmer qu’ils peuvent déjà s’appuyer sur cinq joueurs de niveau du top 10 de la Draft. De’Aaron Fox (n°5) rejoint ainsi Buddy Hield (n°6) et Willie Cauley-Stein (n°6).
Ceci posé, Skal Labissière a chuté dans sa promotion malgré un potentiel qui le situait avant sa campagne universitaire au sommet de la hiérarchie des futurs primo-arrivants. La mentalité du garçon lui a coûté sa chute au cours de la cérémonie. Toutefois, la fin de la dernière saison de Sacramento l’a vu reprendre ses moyens, donc renouer avec les promesses qu’annonçait son talent.
Dans un autre registre, Harry Giles a été plombé par les blessures et rien ne garantit qu’il s’en remettra pleinement. Néanmoins, le prospect était dans la course au premier choix et y serait resté s’il avait récupéré immédiatement de son énième pépin physique.
Ajouter des vétérans présente l’effet pervers de limiter le temps de jeu des jeunes pousses. Néanmoins, ces additions ne sont pas de nature, a priori, à brider les plus forts potentiels. Les présences combinées de Bogdanovic et Carter influent sur la fenêtre de tir de Justin Jackson mais la franchise ne compte pas sur lui pour devenir une pierre angulaire du projet sportif.
Ainsi, les talents de George Hill auront toute l’occasion d’être mariés à ceux de De’Aaron Fox et Buddy Hield à l’extérieur tandis que Labissière pourra bénéficier d’un espace conséquent derrière Zach Randolph et Willie Cauley-Stein.
La principale victime de la répartition du temps de jeu semble se nommer Harry Giles. Or, si jeune, l’athlète doit d’abord retrouver une pleine confiance dans ses moyens, en passant par la D-League?, et l’absence de temps de jeu a souvent été utilisé à profit par les basketteurs en herbe pour parfaire leur arsenal. Développer un tir fiable ne serait pas une activité superflue.
Les analystes relatives à la Draft tendent à mettre l’accent sur les défauts des espoirs présentés, au point d’en occulter souvent l’étendue de leurs qualités. Ainsi en fut-il du fragile et frêle Stephen Curry en son temps, ou du sous-dimensionné Draymond Green.
Le prospect le plus prometteur, De’Aaron Fox, a été stigmatisé pour son manque de fiabilité au tir extérieur, une lacune plus que condamnable sous l’hégémonie des Warriors. Or, mise à part la progression attendue du garçon dans la maîtrise de cette arme moins défectueuse qu’annoncée, il faut se garder de ne point dissocier forces et faiblesses d’un jeune universitaire au regard des modes de la NBA en 2017.
En effet, un Jahlil Okafor pâtit du contexte actuel parce que ses principaux atouts – son jeu dos au panier – sont obsolètes. Dès lors, il devient inutile, et même un handicap, puisque faible dans d’autres secteurs. Cependant, la vélocité de De’Aaron Fox demeure toujours un atout précieux aujourd’hui, au même titre que sa qualité de passe et sa hargne défensive. Hormis le perfectionnement espéré de son tir, tous les voyants du meneur sont au vert et son premier pas ne s’apprend pas.
Comme évoqué plus haut, la principale inquiétude – mais de poids! – autour de la candidature à l’entrée dans la ligue professionnelle de Skal Labissière tournait autour de sa mentalité, trop tendre, pensait-on, pour briller sous la pression du plus haut niveau. Quelques performances de fin de saison n’effacent pas tous les doutes sur sa capacité à exercer une influence sur le cours d’un match en Finals. Elles remettent toutefois en question la narration en vigueur sur le mental du jeune homme. Si cette ombre au tableau disparait, que lui reprocher? Certes, une force mentale avérée n’effacerait pas sa tendance naturelle à s’écarter qui vaut à plusieurs intérieurs l’étiquette infamante, autrefois tout du moins, « soft ». Néanmoins, Chris Bosh, que Shaquille O’Neal surnommait affectueusement le RuPaul des big men, a pu s’imposer parmi les meilleurs joueurs de sa génération alors qu’il était l’emblème du joueur dit « soft ».
Pourquoi pas Skal Labissière?
Comment ne pas relever la pertinence de l’arrivée de Zach Randolph dans cette perspective?
Ce profil de joueur présente en plus l’avantage de se couler parfaitement dans le moule de la NBA contemporaine.
L’ancien meilleur lycéen de sa génération a perdu en NCAA les qualités physico-athlétiques qui en faisaient un jeune talent si prisé des scouts. Pourtant, ses démonstrations pendant le processus pré-Draft ont laissé penser que ses performances à Duke n’étaient qu’un mauvais souvenir. Elles seraient dues à une récupération inachevée de sa dernière blessure sur le plan mental. La prudence reste de mise compte-tenu de son historique médical corsée. La palette technique du garçon n’a rien d’impressionnant à cette heure mais ses aptitudes innées ne s’apprennent pas et son tempérament travailleur et énergique le prédispose à exploiter son potentiel si son corps tient.
Les probabilités d’accéder au statut de superstar varient grandement entre les trois larrons. On ne peut pour autant leur dénier l’espoir d’intégrer le gotha de la ligue, au contraire d’un Willie Cauley-Stein ou d’un Justin Jackson qui ressemblent bien plus à des role players.
Conclusion
Après dix années passées dans le gouffre, la capitale de la Californie devait absolument initier une dynamique qui enraye la spirale de l’échec dans laquelle elle s’est embourbée. Outre une gestion des relations humaines catastrophique, l’atmosphère au sein de la franchise était plombée par une décennie d’échecs sportifs en termes de bilan victoires-défaites, mais également d’optimisation des choix de Draft effectués.
Sur ce plan, les erreurs répétées qui pavèrent la voie à l’insuccès n’ont pas été commises.
Tous les rookies 2017 se caractérisent par une éthique de travail exemplaire, ou du moins non défaillante, première condition à la réalisation de leur potentiel.
La présence décisive de Buddy Hield dans le transfert de Demarcus Cousins la remplissait déjà.
Cette attention n’était pas systématiquement observée par le passé, en témoigne la sélection de Willie Cauley-Stein au cours de la Draft 2015 sur demande de Demarcus Cousins.
Dans le même temps, les Kings ont réussi, de manière assez surprenante, à s’attirer les services de vétérans autrement plus confirmés et indiqués que les précédents Kosta Koufos, Matt Barnes ou Marco Belinelli. Sans rien enlever de leurs qualités, l’édition 2017 du marché des agents libres de Sacramento a bien plus d’allure.
Outre une crédibilité plus à reconquérir que jamais, les manoeuvres effectuées permettent enfin de réunir les conditions nécessaires au développement des jeunes pousses et il serait étonnant dans ce nouveau contexte qu’aucune n’éclose.
L’ombre d’une inextricable médiocrité plane bien sur la franchise à l’horizon des trois prochaines années.
Toutefois, si les Kings parviennent à faire progresser ses joueurs, ils se retrouveront avec des actifs à disposition pour monter un échange leur fournissant une authentique superstar… ou entamer une nouvelle reconstruction avec de plus forts atouts en main.
Quand bien même l’entreprise se solderait par un échec, la maison violette aurait finalement prouvé ses facultés d’alchimiste, tandis qu’elle instille depuis longtemps l’idée qu’elle transforme en plomb tout l’or susceptible de lui passer sous la main.