« Les légendes ne meurent jamais ». En ce dimanche 30 janvier 2017, sur le coup de 9h30, heure française, jamais cette maxime souvent prononcée à tort et à travers n’aura été utilisée à aussi bon escient. Pour la 35ème fois en compétition officielle, Roger Federer et Rafael Nadal rentreront l’un après l’autre sur un court de tennis. Si cette 35ème joute était loin d’être utopique, la voir se dérouler en finale de cet Open d’Australie 2017 défie l’entendement. Enterrées par beaucoup, revenues de nulle part, les deux légendes du XXIè siècle vont se défier pour la neuvième fois en finale d’un tournoi du Grand Chelem, un record dans l’histoire du tennis.
N’importe quel suiveur du tennis mondial devra tout de même se frotter les yeux pour croire en la réalité de la chose. Presque six ans après leur dernier face à face en finale de Grand Chelem, à Roland Garros en 2011, « Roger » et « Rafa » vont, sous les yeux de la planète tennis, se livrer un combat inimaginable il y a encore deux semaines. De l’aveu même du Suisse, la dernière fois que les deux hommes ont eu l’occasion de se croiser, c’était en octobre à Manacor, où l’Espagnol inaugurait son académie en présence de son meilleur ennemi. Entre un Federer en pleine rééducation suite à son opération du genou, et un Nadal à la fin de saison avortée à cause de douleurs au poignet, ils n’avaient pu que se livrer une partie de mini-tennis, se disant que c’était bien la seule chose qu’ils pouvaient faire à ce moment là. Mais rien ne semble pouvoir arrêter l’une des plus grandes rivalités de l’histoire du sport…
L’histoire des deux hommes est fortement liée. Les deux joueurs ont révolutionné le tennis, puis se sont poussés mutuellement à devenir les hommes qui s’affronteront en finale de l’Open d’Australie dimanche. Leur rivalité est sans commune mesure dans l’histoire du tennis masculin. Le Maestro l’avait rappelé en juillet dernier, son plus grand adversaire, c’est Rafael Nadal. Et si le roi de la terre battue peut se targuer d’une rivalité plus forte quantitativement (et peut être même qualitativement) avec Novak Djokovic, la popularité et l’engouement autour d’un « Fedal » n’a aucun égal. Longtemps, la planète tennis a été divisée entre les Pro-Federer, et les Pro-Nadal. Car c’est surtout deux conceptions du tennis et du sport en général qui se font face.
D’un côté, Roger Federer semble incarner le tennisman dans toute sa splendeur. Une gestuelle parfaite, un talent pur qui semble être tombé du ciel et une décontraction totale. Dans son auto-biographie « Rafa », écrite avec John Carlin, l’auteur compare Federer à un joueur des années 20, lorsque le tennis était un passe-temps pour le gratin, entre le repas de midi et le thé de l’après-midi. De l’autre côté, Rafael Nadal ressemble plus au challenger surentraîné. Carlin voit en Nadal un combattant des rues, un pirate au bandana vissé sur la tête, surexcité, le regard noir, prêt à défier sa majesté qui attend calmement de l’autre côté du filet. Ce si grand écart entre les deux hommes est on ne peut plus vrai. D’un côté la grâce, le talent pur, de l’autre, le physique et la force. L’espagnol l’a toujours dit lui-même, il ne possède pas le talent naturel de l’helvète. Mais son talent à lui, c’est de travailler, encore et toujours, et de ne jamais rien donner, de se battre sur chaque point. La célèbre citation de Jim Courier : »On dit que je n’ai pas de talent. Mais je crois qu’il y a bien d’autres talents que celui de frapper dans une balle. Sortir ses tripes sur le court, j’appelle ça avoir du talent, avoir envie de gagner, j’appelle ça du talent, trouver le courage de se battre sur chaque coup quand vous êtes mené 40/0, j’appelle ça du talent. » sied parfaitement au Taureau de Manacor. Entre la force brute de Nadal, sa combativité sur chaque frappe, et la nonchalance et le génie de Federer, on ne peut imaginer deux tennismen plus différents. Alors, forcément, le monde du tennis s’est toujours divisé en deux.
Cette rivalité fut également construite sur le respect mutuel et sur une franche admiration entre les deux hommes. Ils possèdent individuellement une multitude de records, et en possèdent également un grand nombre en commun. Le débat pour savoir qui est le meilleur est sans fin, certains nous parleront du palmarès de Roger Federer et de son nombre de Grand Chelem, quand d’autre évoqueront ce bilan de 23 victoires 11 défaites en faveur de Rafael Nadal, et surtout ce 6/2 en finale de Grand Chelem. Mais en ce début janvier 2017, tout cela semble très loin.
Cette confrontation irréelle ramène tout le monde dix ans en arrière, lorsque le tennis mondial se résumait à ces deux monstres. Les voir ensemble en finale de Grand Chelem est l’une des plus grandes surprises du XXIè siècle. Les anciens fans de Federer et de Nadal, habitués à haïr l’autre le temps d’un match, vont, pendant 3, 4, voire 5 sets, pouvoir se rappeler du bon vieux temps où Novak Djokovic, souvent devenu ennemi commun des « Fedal Fans » n’était encore qu’un adolescent qui ne pouvait que prétendre à un exploit pour battre l’un de ces deux hommes. Cette époque où avant chaque rencontre en Grand Chelem, le public se posait cette question « Est-ce que Roger Federer trouvera enfin la solution contre Rafael Nadal ? » Cette question, on se la pose un peu tous au fond de nous. Mais plus qu’un duel, c’est surtout le bonheur et le privilège de pouvoir assister encore une fois à une finale de Grand Chelem entre les deux hommes qui priment, presque onze ans après leur premier affrontement à ce stade-là, en juin 2006.
Il faut simplement profiter de ce « rab » de spectacle que peu de monde pensait pouvoir avoir la chance de vivre. Bien que plus que jamais, nous savons qu’il ne faut pas enterrer les deux hommes, mais les voir rejouer un jour une autre finale en Grand Chelem semble peu probable. Le chant du cygne arrive. Andy Murray et Novak Djokovic redoubleront de prudence pour ne plus connaître d’accident de la sorte. Cette finale, c’est la cerise sur l’énorme gâteau que sont ces « Fedal ». Durant quelques heures, chaque amoureux du tennis va monter dans sa DeLorean pour remonter le temps et vivre pour une des dernières fois ce qui peut concourir dans la liste des plus grandes rivalités de l’histoire du sport. Alors, Federer ? Nadal ? Nadal ? Federer ? La réponse dimanche. Quoi qu’il arrive, le tennis sortira vainqueur de la Rod Laver Arena.