Peut-on vibrer pour la Coupe de la Ligue?

debats sports image par defaut
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Déplorant à longueur d’émissions le manque de culture foot dans ce pays et plus généralement l’absence de passion que génère la ballon rond dans l’hexagone, les commentateurs se sont détournés de leur ritournelle habituelle pour jeter leur fiel sur l’excessif enthousiasme des stéphanois à l’issue de leur qualification pour la finale de la Coupe de la Ligue.



L’engouement aurait été largement disproportionné eu égard à la valeur sportive de l’évènement. Quelle nouvelle ! L’AS Saint-Etienne bénéficie d’un soutien totalement disproportionné à ses résultats sportifs depuis plus de 30 ans. Il était temps de s’en rendre compte.

L’essentiel de ceux qui ont franchi les grilles qu’il reste d’un Geoffroy Guichard en rénovation, n’ont jamais assisté de leur vivant à un succès qui les rapprochaient tant d’un quelconque trophée. C’est une génération entière qui ne connaît les succès passés qu’au prisme des livres d’histoire et des rares archives de l’INA. Et cette qualification leur ouvrait, par dessus toutes autres considérations, la possibilité d’être les acteurs d’un nouveau chapitre de cette histoire.

Plus encore que la satisfaction de la victoire, c’est ce sentiment intime de vivre un moment d’histoire en marche qui conduit à l’envahissement d’une pelouse partiellement gelée. L’incompréhension des commentateurs résulte autant de leur propre positionnement d’observateur extérieur froid que de leur profonde méconnaissance du sujet qu’ils commentent.

La montée au Stade de France comme objectif de la saison des verts.

Depuis le début de la saison, Christophe Galtier ne cesse de répéter à qui veut l’entendre que l’objectif de la saison était de porter le peuple vert au Stade de France. Loin des classiques priorisations du championnat, compétition que les Verts n’avaient aucune chance de remporter, l’entraineur forézien fixait comme objectif non seulement la dimension sportive de la Coupe mais surtout celle affective d’offrir aux supporters l’occasion de s’enthousiasmer.

En identifiant la montée au Stade de France comme un objectif de la saison, la direction du club développait un plan de communication redoutable. Le club cherchait avant tout à rendre à ses supporters la monnaie de leur inconditionnel soutien, une communication loin d’être anecdotique dans le contexte de la rénovation et de l’agrandissement du stade.

Les attentes vis-à-vis de la Coupe de la Ligue étaient donc largement alimentées par la communication du club et par la possibilité offerte au peule vert de se rendre pour la première fois de son histoire au Stade de France pour y disputer autre chose qu’un match de deuxième division. C’est précisément cette perspective qui fit s’extasier le public de Geoffroy-Guichard ce 15 janvier. Bien aidé par un scénario idoine aux débordements d’allégresse.

Un scénario propice.

Les stéphanois avaient fait de cette Coupe de la Ligue un objectif majeur dès l’entame de la saison, à une époque où les dogues rêvaient d’une coupe autrement plus prestigieuse. Mais venu le temps du dernier carré, la victoire devenait essentielle pour chacune des deux équipes. Pourtant, les stéphanois se montraient bien plus entreprenants que les nordistes. Dans un climat forézien, on assistait à une domination sans partage des stéphanois pendant 80 minutes. Une domination qui restait vaine, la faute à un Steve Elana « on fire » dont la performance rappelait dangereusement celle d’un certain Gérard Gnanhouan, huit ans plus tôt.

Comme Brandao ne semblait pas décidé, malgré un travail de pressing remarquable, à justifier son statut de porte bonheur de la compétition, les 22 acteurs en prenaient pour 30 minutes de rabe. Sans intérêt. Tout au long des deux prolongations, chacune des deux équipes cherchait avant tout à ne pas prendre un but, s’en remettant à un exploit individuel ou à une défaillance de la défense adverse qui n’intervint pas. Les lillois avaient donc laissé passer l’orage et se préparaient à une séance de tirs aux buts avec un Steve Elana qui semblait imbattable.

Dès le second tireur stéphanois, les verts perdirent cette demie finale. Yohan Mollo levait son premier coup de pied arrêté du match. Le loupé de l’ancien nancéen resta jusqu’à ce que Florent Balmont ne s’élance, le tournant du match. L’ancien gone,  imbuvable tout au long de la rencontre avait au bout des pieds la qualification… Il manqua la cible et sa tentative pris le montant droit de la cage de Stéphane Ruffier qui s’était élancé du mauvais côté. Les Verts revenaient dans le match…jusqu’à ce qu’un Gueye hésitant ne se décide à imiter Yohan Mollo.

Etait-ce si surprenant ?

L’épilogue d’une séance de tirs aux buts qui aura vu Florent Balmont manquer la balle de match puis Gueye envoyer son tir aux cieux, plongea donc le public stéphanois dans des effusions de joie collective qui ont irrité les pisse-froid. Pourquoi donc, le public de Geoffroy Guichard se comportait de telle façon quand bien même le palmarès du club ne s’était pas enrichi ? Pourquoi donc s’extasier d’une victoire en demie finale de la Coupe de la Ligue ? Jamais, les commentateurs outrés, n’ont-ils assisté à telles situations ?

Tifo GA

Les étonnés ont surtout la mémoire courte. Qui, parmi les observateurs attentifs de l’actualité stéphanoise ne se souvient pas de l’ambiance totalement excessive du chaudron un certain 4 avril 2004 ? L’ASSE était alors aux prises avec le FC Sochaux à l’occasion d’une demie finale…de coupe de la ligue. Les Verts étaient en Ligue 2 et déjà, le Kop Sud déployait un tifo où le noyau drapé de chasubles rouges représentait un cœur qui ne demandait qu’à vibrer jusqu’à Paris. Les Verts n’étaient alors pas encore qualifiés pour la finale et nous n’étions pas les seuls à manifester un enthousiasme…excessif.

L’extension du palmarès de l’Association Sportive de Saint-Etienne attendra le 20 avril prochain, mais les 23 011 personnes présentes à Geoffroy-Guichard ont déjà gagné ce 15 janvier. Elles ont gagné ce qu’il y avait à prendre à l’issue de cette rencontre. Un ticket pour un nouveau chapitre de l’histoire de la légende du football français. Rien que ça. Un ticket pour le Stade de France.

Non pas que ce dernier soit un stade de football digne de ce nom mais la dimension symbolique de s’y rendre pour disputer un trophée enchante ceux qui ont vu ces dernières années leur club redescendre en seconde division, se faire étriller par Aurillac ou autre Jura Sud. Ceux-là mêmes qui un jour d’été 2005 se déplacèrent à plus de 12 000 à Genève pour y disputer un match…de Coupe Interto, ne sont plus qu’à 90 minutes d’une nouvelle aventure européenne.

Un ticket d’entrée pour de nouvelles joutes européennes.

L’Europa League pourquoi faire ? Voilà, un adage devenu classique des quotidiens et des libres antennes dès qu’il s’agit de parler de foot et d’Europe. Ceux-là mêmes qui n’ont cessé de dénigrer la C2 et la C3 et applaudit des deux mains la création d’une ligue des champions sous la pression du G14, s’indignent que certains clubs ne disputent pas l’Europa League avec leurs meilleurs arguments. Qu’il ait fallut que les succès des clubs portugais en la matière ne conduisent au déclassement de la France à l’indice UEFA pour qu’ils daignent s’en offusquer, passe encore. Mais qu’ils fassent un procès par anticipation à l’AS Saint-Etienne c’en est trop.

Pour rappel ces 30 dernières années, l’ASSE a eu l’occasion de s’aventurer hors de l’hexagone au cours de deux saisons. En juillet 2005, pour la fameuse Coupe Intertoto qui vit plus de 12 000 stéphanois faire le déplacement à Genève pour une opposition contre le mythique Neuchatel Xamax. Puis lors de la saison 2008-2009, enfin, les supporters stéphanois purent parcourir l’Europe grâce l’Europa League. Une compétition galvaudée par le club ? Pas tout à fait si on examine le parcours des verts. En 10 matchs, l’ASSE a remporté 6 victoires, concédé 3 nuls et une seule défaite. L’aventure européenne qui aura conduit le peuple vert, à Tel-Aviv, Copenhague, Bruges, Athènes et Brême pris un terme en huitièmes de finale avec une élimination face au futur finaliste de la compétition.

En arrachant sa qualification pour la finale de la Coupe de la Ligue, l’ASSE s’est offerte la possibilité de disputer une compétition européenne la saison prochaine. L’Europe, les supporters la veulent plus que tout.

Et le football populaire, alors ?

Et puis vinrent alors les tirades sur la valeur intrinsèque de cette Coupe de la Ligue. Cette dernière serait devenue sans valeur et ne devrait à ce titre pas donner lieu à tant d’allégresse. On aimerait la même constance de ces commentateurs dans la défense d’un football populaire. Sans aller à leur demander de militer à nos côtés pour la suppression de cette compétition et pour le rétablissement des matchs de football le samedi, on attend toujours qu’ils apposent leurs signatures au bas de la pétition du Collectif SOS Ligue 2. Quoi qu’il en soit on ne saurait leur donner tort en ce qui concerne l’illégitimité de la Coupe de la Ligue. Inepte de part son format, sa nature et son calendrier cette compétition doit disparaître. Il n’échappera pas toutefois à la vigilance de celui qui veut bien voir ce qu’il a devant les yeux, que chaque rencontre de cette compétition est l’objet de manifestations de désapprobation et d’irrévérence envers la ligue et ses sbires.

Notre opposition aux politiques ineptes conduites par la Ligue avec une constance effarante ne doit pas avoir pour conséquence de priver notre club du soutien inconditionnel de ses plus farouches partisans.

La victoire face à Lille, à l’issue d’une partie que l’on a bien cru perdre jusqu’à ce que Balmont ne s’élance, nous autorise à nous rendre au Stade de France à plusieurs dizaines de milliers, et à devenir acteurs de la légende d’un club que l’on soutient depuis toujours.

Loin des salons parisiens et des plateaux où l’on déverse à longueur d’année les mêmes litanies, les supporters des verts se considèrent comme des acteurs à part entière du succès et des défaites de leur club.

Sans leur 12ème homme où serait aujourd’hui l’ASSE ? Nul ne le saura parce qu’en dépit de la caisse noire et des faux papiers, des descentes et des difficiles remontées, jamais l’ASSE n’aura été délaissée. C’est ce 12ème homme, plus habitué aux revers qu’aux succès qui se voit autorisé à monter au Stade de France pour écrire une nouvelle ligne de la légende du football français. Et s’offrir une nouvelle tournée européenne.

Jamais les supporters de verts ne renonceront à défendre un football populaire où l’entrée au stade restera accessible aux classes populaires que cela soit en matière de tarifs ou d’horaires. Jamais nous ne renoncerons à défendre les intérêts de ceux qui se déplacent chaque semaine au stade, quitte à contrarier les plaisirs de ceux qui consomment le football derrière leur écran. Jamais nous ne cesserons de dénoncer des compétitions créées de toutes pièces pour faire un peu plus encore de notre sport un business. Jamais nous abdiquerons à défendre notre conception d’un football qui se vit davantage qu’il se consomme.

Mais dans les contours d’un football imparfait et dans le cadre de compétitions illégitimes, jamais nous ne refuserons de soutenir notre équipe, nos couleurs, notre maillot. Parce que pour nous, il s’agit un peu plus que d’un simple jeu.

L’enthousiasme pour une victoire, qui mine de rien, représente le plus beau résultat de ces 30 dernières années est à la hauteur de l’engouement des verts pour leurs couleurs.

Que ça vous étonne, on s’en cogne.

Crédits photos : Furiana-photos