De quoi ce Derby est-il le nom?

debats sports image par defaut
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Alors que la France entière s’apprête pour les fêtes de fin d’année, ce n’est pas le 25 décembre qui est coché dans tous les agendas du Rhône Alpes et du Forez. Le 9 décembre y sera bel et bien le jour le plus important du dernier mois de l’année. Ce 9 décembre, c’est jour de Derby. Le match le plus important de la saison. Et dans l’exercice actuel il revêt une dimension particulière. Pour la première fois depuis 38 années, les deux équipes se situent sur le podium de la Ligue 1 avant d’en découdre pendant 90 minutes à Geoffroy-Guichard dans une rencontre où il ne sera pas seulement question d’honneur et de suprématie régionale.



Comme tout derby, le match du 9 décembre a une valeur intrinsèque. Quelque soit le classement des deux équipes, la forme du moment, le talent et la renommée des joueurs sur le terrain, le derby n’autorise qu’une issue : la victoire. Dans une certaine mesure, les 36 matchs autour servent de prétexte à l’organisation de ce qui compte réellement, ces deux putains de matchs face au voisin honni. Mais ce dimanche pour la première fois depuis la saison 1973-1974, le Derby aura aussi une valeur de baromètre pour la dynamique des deux clubs et le visage du sommet de la Ligue 1.  Cette saison, les verts et l’olympique lyonnais pourraient bien boxer dans la même catégorie jusqu’au soir de la 38ème journée.

Dès lors le prochain derby peut être appréhendée sur deux plans, son essence propre et sa dimension sportive.

Une question de suprématie régionale et nationale

L’issue de ce derby, placé à quelques encablures de la trêve hivernale pourrait bien s’avérer décisive quant aux dynamiques de développement des deux clubs. Une victoire des lyonnais à Geoffroy-Guichard leur permettrait de rester à bonne distance du PSG en tête de la Ligue 1. Jean Michel Aulas pourrait alors prendre le risque de repousser son opération dégraissage au mois de juin pour tenter de jouer le titre avec cet effectif. Une défaite replongerait les décideurs rhodaniens dans le doute. L’ambition du club à moyen terme dépendant alors de la confrontation face au PSG. Une victoire des stéphanois dans un derby à domicile, ce qui ne s’est plus produit depuis un soir d’avril 1994 scellerait définitivement les ambitions de ce groupe et validerait la politique sportive et salariale du club.

Depuis une décennie le derby rejouait inlassablement la lutte entre les descendants déshérités du plus beau palmarès national du football hexagonal contre son riche voisin aux succès naissants. Pendant une décennie, l’Olympique Lyonnais a profité des déboires de l’AS Saint-Etienne pour se constituer un palmarès. Mieux vaut tard que jamais. Depuis le début du nouveau millénaire le derby se joue donc sur le mode de la résistance du prestigieux ancien qui refuse de rendre les armes face à la puissance de feu de son jeune voisin. Pendant une décennie, les relations entre les deux clubs rivaux se définirent dans des termes gramsciens. Le vieux se mourrait et le neuf hésitait à naître. Sauf qu’à l’inverse des systèmes productifs, les grands clubs ne meurent jamais. Et Lyon a certainement laissé passer sa chance d’égaler le rival stéphanois ne serait-ce que sur un plan comptable. Cette année pourrait bien être décisive et marquer un inversement des courbes de progression des deux clubs antagonistes. Dans cette année charnière, la double confrontation n’en sera que plus déterminante. Pas de chance pour Jean Michel Aulas et ses affidés. Sur le pré les stéphanois n’ont jamais semblé aussi bien armés ces dernières années pour l’emporter.

Comme si cela faisait partie de son ADN, Saint-Etienne semble vouloir définitivement laisser son nom dans les livres d’histoire. Après une période de disette de 16 années, les Verts sont allés arracher le 100ème derby sur la pelouse de Gerland. Ce dimanche les stéphanois vont rééditer la performance et l’emporter. Les Verts disposent de l’effectif et des qualités idoines pour défaire le leader du championnat.

La clé : la possession du ballon.

Seule la victoire est belle un soir de confrontation face au voisin Lyonnais. La manière est accessoire. Mais le moyen le plus sur de l’emporter restera de priver les gones du ballon.

Si les stéphanois privent les lyonnais de la balle ils auront déjà fait un grand pas vers la victoire. En effet, cette saison les hommes de Rémy Garde excellent dans la construction du jeu. Pour s’imposer les rhodaniens s’appuient sur une possession de balle la plus importante de Ligue 1 avec 57% de possession. Ils ne se contentent pas de monopoliser la gonfle à Gerland ils prennent également le contrôle de la balle à l’extérieur (54%). Or quand ils ne mettent pas le pied sur le ballon plus souvent que leurs adversaires, les lyonnais sont en difficulté. Cette saison quand la possession ne leur a pas été favorable ils ont soit pris une volée à Toulouse (3-0), soit concédé le nul face à Sochaux (1-1).

Pour s’assurer du contrôle de la balle, l’OL s’appuie sur un milieu de terrain à trois têtes dont il s’agira de couper les liaisons. Remy Garde peut alterner avec 4 joueurs sur ces trois postes avec Grenier/Gourcuff, Gonalons et Steed Malbranque, figure de l’ennemi par excellence qui a osé venir souiller le maillot vert en début de saison dernière. Mais s’il est un trio qui peut rivaliser avec le milieu lyonnais en Ligue 1 c’est bien le milieu stéphanois qui peut s’appuyer sur 4 éléments en fonction des nécessités tactiques: Renaud Cohade, Jérémy Clément, Fabien Lemoine, et Joshua Guilavogui. Et si tant est qu’ils n’y parvenaient pas, les stéphanois pourront procéder par contre et profiter de l’explosivité et de la vitesse de Romain Hamouma, Max Alain Gradel et d’un Pierre Emerick Aubameyang laissé au repos vendredi face à Ajaccio.

La forme du moment.

Lyon a pris la tête du classement au bénéfice de la défaite parisienne face à Rennes avant de la conforter grâce à son match en retard face à son actuel dauphin, l’Olympique de Marseille. Mais cette large victoire des lyonnais sur les phocéens déforme la grille de lecture des résultats des rhodaniens en déplacement. Avant leur déplacement sur la canebière, les lyonnais restaient sur deux nuls à Lorient et Sochaux et une déroute absolue à Toulouse. Leur bilan global en déplacement de 2 victoires en 7 rencontres n’est pas à la hauteur de leur parcours à domicile. Un bilan très mitigé au moment de se rendre dans un Geoffroy Guichard qui ressemble de plus en plus à une forteresse imprenable…à trois pans de mur. A domicile les Verts n’ont plus encaissé le moindre but depuis le 14 septembre dernier. Depuis cette date les verts n’ont plus concédé la moindre défaite toutes compétitions confondues.

Les joueurs clés

Naturellement les hommes qui ont porté les deux maillots sont toujours à surveiller dans ce genre de rencontres. Et ils seront nombreux ce dimanche soir (Jérémy Clément, Français Clerc, Renaud Cohade, Bafetimbi Gomis, Steve Malbranque, Mouhamadou Dabo, sans compter Christophe Galtier). Un homme en particulier sera copieusement hué à son entrée sur la pelouse. Bafetimbi Gomis qui n’a jamais scoré dans un derby à Gerland s’est découvert un sens du but assassin depuis qu’il évolue du côté de l’OL. Il a déjà marqué à trois reprises avec le maillot lyonnais sur les épaules à Geoffroy-Guichard. Il est l’homme en forme des hommes de Remy Garde et reste sur quatre buts lors des deux dernières rencontres. Mais dimanche il croisera sur sa route un Stéphane Ruffier qui a tenu Zlatan Ibrahimovic en respect et conservé sa cage inviolée depuis 300 minutes. A Geoffroy-Guichard, la dernière fois que le portier stéphanois est allé chercher le ballon au fond de ses filets ce fut à la suite d’un retourné de Dubaï. C’était le 14 septembre dernier. L’Olympique Lyonnais peut bien se targuer d’être la meilleure attaque du championnat mais l’AS Saint-Etienne en est la défense la plus imperméable. Les stéphanois n’ont encaissé que 6 buts depuis la fin de la seconde journée du championnat. Et les verts sont la troisième attaque du championnat. Pierre Eymeric Aubameyang n’ayant pas disputé le dernier match à Ajaccio, le gabonais sera frai au moment de se frotter à la défense lyonnaise.

Saint-Etienne aborde ce derby en occupant la dernière marche du podium. La dernière fois que les Verts ont abordé un derby en se trouvant sur le podium ils l’ont emporté 1-0 à Gerland. La dernière fois que les deux clubs se trouvaient sur le podium avant un derby remonte à la saison 1973-1974. Les verts s’étaient imposés 2-0. Les stéphanois avaient été sacré champion de France. Bis repetita ?

Mais le derby ce n’est pas seulement une adversité sportive, c’est aussi et surtout un antagonisme social.

Le derby c’est la cristallisation des rapports sociaux entre deux villes si proches et si différentes. Lyon personnifie la figure du bourgeois pédant jouissant jusqu’à l’excès d’une rente de situation dont il a hérité presque par hasard. Saint-Etienne est le laboratoire d’une ville industrielle en reconstruction qui a vu partir avec ses mines un peu plus que ses masses laborieuses. Le derby c’est une confrontation entre deux lectures du football, deux mobilisations de la mémoire de sa propre histoire. Là où Saint-Etienne a érigé un musée de la mine auquel les joueurs stéphanois sont régulièrement conviés, Lyon a fait du musée des canuts, non pas un haut lieu de mémoire d’une des plus grandes insurrections ouvrières du début de 19ème siècle. Non les gones ont préféré en faire un musée de la soie que les bourgeoises et bourgeois se plaisaient à porter. Cet antagonisme social vécu, fut même revendiqué par les gones un soir de derby à Geoffroy-Guichard quand les visiteurs se sont crus autorisés à sortir une banderole «  Les gones inventaient le cinéma quand vos pères crevaient dans les mines ». Décidément, ce 9 décembre, il sera question de bien plus qu’une simple partie de football.