Brandao, le pivot du succès des verts

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Quatrième du championnat de France, finaliste de la Coupe de la Ligue et quart de finaliste de la Coupe de France, l’AS Saint-Etienne réalise sa meilleure saison depuis une trentaine d’années. Les analyses des raisons du succès des verts ne manquent pas. Elles se focalisent à juste titre sur l’excellence aux deux extrémités du terrain (Ruffier, Aubameyang), sur la densité du milieu de terrain de Christophe Galtier et/ou sur la profondeur du banc stéphanois depuis un mercato rondement mené ; toutefois trop peu reviennent sur deux points pourtant fondamentaux : le mode de rémunération des joueurs foréziens (sur lequel nous reviendrons dans un prochain billet) et l’impact de Brandao.



A lire : Payer moins pour gagner plus. Pourquoi l’ASSE gagne. 

Depuis son intronisation à la tête du club, Christophe Galtier cherchait désespérément un attaquant athlétique, capable de jouer en pivot. C’est la quête de ce profil qui avait conduit l’ASSE à procéder aux recrutements de deux des joueurs les plus chers de l’histoire du club : Boubacar Sanogo et Gonzalo Bergessio. Pour les résultats connus. C’est donc avec un certain scepticisme que la presse a accueilli la signature de Brandao à Sainté. Revenu du Brésil après avoir été éconduit de l’OM, le brésilien ne croulait pas sous les propositions et il a consenti à d’importants efforts financiers pour rejoindre Loïc Perrin et ses coéquipiers.

Depuis son arrivée dans le Forez, Brandao excelle. Au sein d’une équipe joueuse, le brésilien apporte le point d’ancrage dont les verts avaient tant besoin. Sa présence sur le pré ouvre des espaces à ses coéquipiers sur les ailes, et Pierre-Eymeric Aubameyang et Yohan Mollo savent en profiter. Il est le complément idéal des joueurs de couloirs dont regorge l’effectif stéphanois : PEA, Mollo mais aussi Hamouma ou Max-Alain Gradel.

La présence du brésilien met ses coéquipiers dans les meilleures dispositions. Leur association porte ses fruits. L’AS Saint-Etienne est à l’aube de la 30ème journée, la seconde meilleure attaque du championnat derrière le PSG (et la seconde meilleure défense), et est encore qualifiée dans les deux coupes nationales. Les Verts réalisent leur meilleure saison depuis une trentaine d’année. Brandao n’y est pas étranger.

La statistique est désormais connue. L’ASSE ne perd pas quand le brésilien est titularisé. Les stéphanois deviennent même invincibles. Outre ses 5 matchs de Coupe où l’ASSE est toujours rentrée aux vestiaires avec la qualification en poche, il a été titularisé à 14 reprises en Ligue 1 pour 11 victoires et 3 nuls soit 36 points sur 42 possibles. Plus impressionnant encore, l’ampleur du score moyen des rencontres débutées par Brandao. Sur ces 14 matchs, l’ASSE n’a encaissé que six buts et en a inscrit la bagatelle de 30 !

Des stats plus que dignes

Brandao est le second meilleur buteur de l’ASSE avec 11 réalisations à son compteur. Il est le 12ème meilleur buteur de Ligue 1 avec 9 buts inscrits. Il s’agit de sa meilleure marque depuis son arrivée en France. Mais son bilan comptable est bien plus impressionnant si on considère son temps de jeu. En effet, le brésilien marque un but toutes les 134 minutes en championnat. Le tout sans tirer les penalties. Ce ratio en fait le second joueur le plus efficace de la Ligue 1 derrière Zlatan Ibrahimovic. Si Dario Cvitanich score un but toutes les 129 minutes il a converti trois penalties. Dans le jeu, seul Ibra et Gameiro marquent plus régulièrement que Brandao.

Présenté comme maladroit, Brandao a marqué dans toutes les positions : 4 du pied gauche, 2 du pied droit et 3 de la tête.

Malgré cet apport statistique éloquent, Brandao a déclenché l’emballement médiatique à son encontre à deux reprises cette saison. D’abord face à Lille en demi-finale de la Coupe de la Ligue où il a vendangé deux occasions franches, ce qui lui a valu l’appel des fourches caudines des notes de l’Equipe qui ont évalué son apport sur le pré à un piteux 2/10. Si cette évaluation en dit plus sur les modalités de notation du seul quotidien sportif hexagonal que sur l’apport réel du joueur, elle l’a profondément atteint. Puisque, en dépit des démentis d’usage, le joueur demeure très sensible à ce qu’écrit la presse à son endroit. Puis, plus récemment face au Paris Saint-Germain où sa semelle sur Thiago Silva a été présentée comme le pendant de l’attentat de Valentin Esseyric sur Jérémy Clément et qui vient de lui valoir une suspension pour deux matchs.

Ces deux épisodes démontrent l’empressement de certains à descendre un joueur qu’ils n’ont jamais considéré à sa juste valeur pour trois séries de facteurs. L’analyse du jeu et de l’impact de Brandao sur une partie de football souffre d’un triple tropisme. Celui d’être un joueur brésilien sans détenir les qualités présumées liées à sa nationalité, celui de l’attaquant dont l’apport n’est quantifié qu’en fonction de son nombre de réalisations, et surtout du tropisme télévisuel qui ne manque pas de diffuser à l’envi ses quelques maladresses mais omet de mentionner son incroyable travail sans ballon.

  • Le tropisme du joueur brésilien

Une chose est certaine, Brandao ne correspond pas à l’idéal type de l’attaquant brésilien. L’attaquant des verts ne dispose pas des qualités techniques et de la créativité de certains de ses illustres compatriotes, il compense toutefois par d’autres qualités notamment physiques et tactiques. De part son gabarit (1,89m, 78kg), il pèse sur les défenses et sert de point de fixation dans la moitié de terrain adverse, de par ses mouvements incessants et l’intelligence de son jeu sans ballon il épuise ses adversaires directs. Des qualités précieuses, notamment pour ses coéquipiers, qui ne correspondent pas à ce que sa nationalité laissait suggérer aux commentateurs non avertis.

Comme le démontre avec brio, Simon Kuper[1] dans son ouvrage, le joueur brésilien s’est imposé dans les représentations mentales des observateurs et des supporters comme une catégorie à part entière au même titre que le milieu relayeur ou le latéral. Il n’est pas rare d’entendre des recommandations de commentateurs plus ou moins avisés sur la nécessité de renforcer un effectif avec l’apport d’un joueur brésilien, sous entendu un joueur créatif, capable de faire la différence par ses exploits individuels et sa faculté à éliminer son adversaire par ses dribbles.

A cet égard, Brandao souffre de la réputation de ses compatriotes. Ses qualités ne correspondent pas à sa nationalité. Et de ce fait, on souligne davantage ses lacunes que ses forces.

  • Le tropisme du buteur

Il souffre avec tout autant de force si ce n’est plus encore du tropisme du buteur. Puisqu’il évolue sur le front de l’attaque Brandao devrait être un buteur redoutable. Un attaquant doit marquer des buts. Malgré les stats évoquées en amont et un titre de meilleur buteur du championnat d’Ukraine en 2008, Brandao est réputé pour marquer peu de buts. Qu’importe si sa présence sur le terrain se traduit par un plus grand nombre de réalisations de ses coéquipiers. L’apport d’un buteur est, encore trop souvent, analysé de manière quantitative au prisme du nombre de buts inscrits. Quels qu’ils soient d’ailleurs.

  • Le tropisme télévisuel.

Si le tropisme du buteur est si prégnant c’est qu’il est alimenté par celui généré par la diffusion télévisuelle. Naturellement, les résumés ne manquent pas de se nourrir des occasions manquées par le brésilien. Ses loupés face à Lille en demi-finale de la Coupe de la Ligue ont fait le tour des écrans. L’Equipe a fondé sa notation du joueur sur ces deux actions. Ses déplacements, son pressing constant sur la défense lilloise, son sens du positionnement qui contraint ses vis-à-vis à délaisser leurs zones préférentielles n’ont pas fait l’objet d’images pas plus que de papiers.

Mais de manière générale, l’observateur attentif ne peut être totalement renseigné par le rôle et l’influence de Brandao sur le jeu stéphanois s’il se contente de regarder les rencontres au biais de son petit écran. L’essentiel des qualités du brésilien se situent outre sa combativité dans son jeu sans ballon, la part la substantielle d’une partie de football qui n’est jamais retransmise à l’écran puisque la réalisation française, amatrice de gros plans, se concentre sur le ballon. Tout au long des minutes qu’il passe sur le terrain, Brandao est le premier défenseur de l’ASSE, en pressant les défenseurs adverses sur leurs relances, il favorise la récupération de son milieu de terrain. En contraignant son vis-à-vis à effectuer des déplacements superflus, il use physiquement les défenseurs qui se trouvent dès lors fort démunis face à la vitesse de course et d’exécution d’un Aubameyang ou d’un Yohan Mollo. Enfin il compense sa relative lenteur (il est in fine plus pataud que lent).

Ce travail de sape des défenseurs adverses imperceptible à la télévision facilite grandement la tâche de ses coéquipiers. En épuisant physiquement l’arrière garde rivale, Brandao facilite le jeu tout en vitesse et débordement de ses ailiers. Ce n’est pas un hasard, si les coéquipiers du brésilien réalisent leur meilleure saison statistique à ses côtés. Ainsi, le gabonais caracole à la seconde place du classement des buteurs de L1 avec 16 réalisations derrière l’intouchable Ibra et un certain Mamadou Niang avait terminé meilleur buteur de la saison en 2010. Un hasard ?

Une ode aux valeurs stéphanoises.

Plus encore qu’à son influence dans le jeu des stéphanois, l’adaptation du brésilien dans le forez doit beaucoup à son style de jeu et à sa mentalité sur le terrain. Brandao incarne l’archétype du footballeur qui compense un manque de technique évident par une hargne et une envie sans équivalent. Pas naturellement doué, Brandao se bat avec ses armes, sa tête et son cœur.

Il incarne l’effort contre le talent brut, le combat contre le spectacle. Il est le symbole de la prévalence de l’acquis sur l’inné et du travail sur la rente. A cet égard, il personnifie les valeurs stéphanoises sur le terrain.

Partout où il a posé ses crampons, Brandao a remporté des titres et soulevé des trophées. Invaincu en Coupe de la Ligue, il pourrait bien être le porte bonheur des verts et permettre aux stéphanois de rajouter une ligne à leur palmarès pour la première fois depuis 1981. Certains y verront une manifestation du hasard. Le peuple stéphanois saura, lui, ce qu’il doit à son numéro 14. Ses coéquipiers aussi.


[1] KUPER, Simon, SYMANSKI, Stefan, les attaquants les plus chers ne sont pas ceux qui marquent le plus, De Boeck éditions