L’AS Monaco doit-elle renoncer à son régime fiscal dérogatoire pour évoluer dans le championnat de France?

debats sports image par defaut
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Racheté en décembre dernier par un milliardaire russe, le club de la principauté caracole en tête de la Ligue 2. Et pour cause, cet été, l’AS Monaco a réalisé un mercato à faire pâlir de nombreuses écuries de Ligue 1. Si les dirigeants sont parvenus à renforcer substantiellement leur effectif avec des internationaux confirmés et des jeunes espoirs convoités, alors que Monaco évolue dans l’anti-chambre de la Ligue 1, ils le doivent à une situation fiscale de la principauté particulièrement avantageuse.



Occultée par l’arrivée de QSI au Paris Saint-Germain qui a accaparé toute l’attention médiatique, le changement de dimension du club du rocher, n’en est pas moins réel. Toujours à la recherche de sa première victoire cette saison, le PSG a déjà trouvé son concurrent pour les années à venir. Et le club de la capitale devrait s’activer pour accumuler les titres. L’ASM dispose de sérieux arguments et des ambitions pas moins élevées.

Un recrutement princier.

Alors mal en point en championnat, l’AS Monaco a été rachetée par la société MSI (Monaco Sports Investments) aux mains du milliardaire russe, Dimitri Rybolovlev. 100ème plus grande fortune mondiale, selon la dernière actualisation du magazine Forbes, Rybolovlev n’a pas lésiné sur les moyens depuis sa prise de contrôle du club. Dès le mercato d’hiver la nouvelle direction du club s’est attachée à renforcer un effectif alors pas au niveau du nouveau standing qu’entendent donner au club les nouveaux actionnaires. Pas moins de 9 joueurs ont rejoint la principauté lors du mercato hivernal. Gary Kagelmacher en provenance d’Anvers (2,3 millions d’euros), Andreas Wolf  du Werder Brême (900 000 euros), Nacer Barazite (3M€, Ibrahima Touré, arraché pour la modique somme d’un million d’euros au Ajman Club, Danijel Subasic (Hajduk Split, 700 000€), le grec Alexandros Tziolis qui évoluait au Racing Santander (200 000€), Vladimir Koman (Sampdoria Gênes, 2M€), grigor Tzavellas (Eintracht Francfort, prêté) et Nabil Dirar contre un chèque de 7,5 millions d’euros aux dirigeants du FC Bruges. Un recrutement massif mais pas moins intelligent qui permettra au club de réaliser une excellente seconde moitié de championnat. Une particularité notable de ce recrutement réside dans l’absence du moindre joueur français.

Ce n’est pas un hasard mais le produit de la situation fiscale de la principauté. En effet, la signature en 1963 d’une convention fiscale entre la République Française et la Principauté de Monaco, les ressortissants français résidant à Monaco relèvent du régime fiscal français comme tous les autres contribuables. De ce fait, seuls les joueurs étrangers peuvent bénéficier du régime fiscal monégasque qui consiste tout simplement en une absence…d’imposition. Ce qui explique à la fois la nature du recrutement du club lors des deux derniers marchés et la proportion de joueurs étrangers à Monaco. En effet, au sein de l’effectif club monégasque, on note une surreprésentation des joueurs étrangers. Le recrutement estival renforce un peu plus cette dynamique. Décidé à remonter dès cette saison dans l’élite et à jouer le titre dans un futur proche, la direction sportive monégasque s’est attachée les services de l’entraîneur italien, Claudio Ranieri ainsi qu’une pléïade de nouveaux joueurs…parmi lesquels un Uruguayen (S. Ribas), deux italiens (A. Raggi et F. Roma), un congolais (D. Edinga), un suédois (E. Bajrami), un danois ‘(S. Poulsen) mais pas le moindre candidat au maillot bleu.

La fiscalité monégasque, un avantage décisif ?

En l’espace de six mois, l’AS Monaco s’est constitué un effectif digne de certains gros clubs de l’élite, et a confié sa destinée sportive à un des entraîneurs les plus côtés en Europe. Caractérisation d’un football apatride, l’AS Monaco peut-elle dominer le football hexagonal en raison d’une fiscalité avantageuse ?

Club professionnel depuis 1933, l’AS Monaco a remporté 7 titres de champion de France, 5 coupes de France et une coupe de la Ligue. Le club de la principauté n’a pas attendu la financiarisation du football pour glaner ses premiers titres. De fait, l’avantage fiscal de la principauté ne se formalise qu’au travers de l’arrêt Bosman qui reconnaît aux footballeurs la liberté d’exercer leur activité dans n’importe quel Etat membre et l’lilégalité subséquente des quotas de joueurs nationaux alors en vigueur. Dès 1996, le club monégasque bénéficie d’un avantage comparatif déterminant dans le recrutement de joueurs étrangers que les clubs européens peuvent accueillir sans limites de nombre.

Le club a su mettre en place des filières de recrutements particulièrement efficaces. On songe ici aux filières africaines, scandinaves et sud-américaines qui ont marqué l’histoire récente du club et que les nouveaux dirigeants semblent poursuivre avec les signatures du sénégalais Ibrahima Touré déjà meilleur buteur de la Ligue 2, qui reste sur deux doublés consécutifs, de l’international suédois Emir Bajrami, ou de la pépite argentine recrutée à prix d’or à River Plate, Ocampos. La mise en place de ces filières a bien entendu bénéficié de l’argument fiscal.

Il en va de même en ce qui concerne le centre de formation de l’ASM qui figure parmi les meilleurs de notre pays. Ainsi, selon le classement des centres de formation établi par la Fédération Française de Football, le centre du club du rocher se classe au 4ème rang. Une aubaine pour le club monégasque.

Si le club est dans la capacité de dépenser des sommes astronomiques pour renforcer un effectif déjà bien plus talentueux que ceux de ses concurrents, il le doit aux économies réalisées en matière de cotisations patronales et salariales. Un avantage si décisif ? Depuis 2000, où la question n’avait pas manquée d’être soulevée alors que le club dominait le championnat de France devant le futur hégémon du football hexagonal, l’Olympique Lyonnais, Monaco n’a plus remporté le moindre titre de champion de France. Pire le club a été relégué en deuxième division.

Nous persistons à penser qu’il s’agit d’un privilège exorbitant pour reprendre une formulation gaullienne (le général De Gaulle est à l’origine de la signature de la convention fiscale entre les deux pays, qu’il a plus imposé que négocié avec la principauté). Contrairement à la majeure partie des clubs français, la masse salariale de l’ASM ne constitue pas un fardeau pour la survie économique d’un club destiné à vivre du mécénat.

L’AS Monaco, une incongruité à l’heure d’une nouvelle économie footballistique.

La concurrence de l’AS Monaco est d’autant plus déloyale que l’économie du football semble se diriger vers un nouveau paradigme autour du « grand stade » multifonction, véritable écrin économique des clubs. Le stade Louis II reste désespérément vide. Rares sont les occasions où les 18 523 places du stade sont occupées. Privé de recettes de billetterie et de merchandising, le club de la principauté constitue une anomalie dans le panorama général de l’économie du football professionnel.

Alors que le projet de QSI est de valoriser la marque PSG à l’échelle mondiale en s’appuyant sur le soutien de l’ensemble du bassin de population que constitue l’île de France, le projet monégasque interpelle. Sans bassin de population à même de garnir le Stade Louis II, concurrencée dans son voisinage proche par l’OGC Nice et sa future Allianz Riviera, au sud est de la métropole par l’Olympique de Marseille et le récent champion de France, Montpellier, l’AS Monaco ne peut prétendre à une restructuration économique pérenne.

Le club du rocher est voué à se livrer aux desideratas d’un actionnaire majoritaire dont les volontés à moyen et long termes demeurent obscures. L’attrait de la fiscalité monégasque devrait toutefois proscrire un scénario à la « Malaga » où l’actionnaire principal, le cheik Abdullah Bien Nasser Al-Thani, a changé de lubie deux ans seulement après avoir mis la main sur le club. Mieux, le club monégasque pourrait, une nouvelle fois, tirer profit d’éléments législatifs pour initier une ère d’hégémonie.

Ainsi, l’avantage que représente pour le club monégasque sa fiscalité dérogatoire à celle à laquelle répondent les clubs français, devrait prendre une autre ampleur sous l’influence de trois facteurs :

–       La fin du DIC

Face à l’absence de compétitivité économique des clubs français, le législateur avait introduit le Droit à l’Image Collectif (DIC) afin d’alléger les cotisations patronales et salariales des clubs français. Le dispositif permettait aux clubs de payer un maximum 30% du salaire d’un joueur au titre du DIC. Or le DIC n’étant pas un salaire, il était exonéré de cotisations. Ce système avait été mis en place, en 2004 après que les présidents marseillais, Christophe Bouchet et lyonnais, Jean Michel Aulas, se soient emportés contre l’exception monégasque. En tant que dispositif d’allégement des cotisations salariales, que ne paient pas le club monégasque, ce mécanisme permettait aux clubs français de réduire le poids de leur masse salariale et d’atténuer le privilège monégasque. Le DIC a toutefois été supprimé en 2009, accentuant de nouveau l’écart entre Monaco et les autres clubs.

–       L’arrivée d’un nouveau propriétaire.

Avec l’arrivée de la 100ème à la tête du club, l’AS Monaco a, à l’instar du PSG, clairement changé de dimension économique. Si la volonté de Dimitri Rbolovlev de s’implanter à long terme dans la principauté se confirmer, la conjonction de capitaux illimités et d’une fiscalité inexistante assurerait un pouvoir économique sans commune mesure dans l’hexagone, PSG version QSI compris.

–       L’éventuelle adoption d’une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu à 75% au delà du premier million d’euro qui devrait affecter de nombreux footballeurs évoluant dans l’hexagone.

Si le gouvernement tient les engagements pris par le président François Hollande au cours de sa campagne présidentielle, l’ASM jouirait non seulement d’un avantage comparatif sur ses concurrents mais d’un privilège absolu. Là où pour payer un salaire annuel de 14 millions d’euros net à Zlatan Ibrahimovic, les actionnaires du PSG devraient débourser pas moins de 56 millions, l’AS Monaco se contenterait de verser 14 millions. L’AS Monaco pourrait alors librement recruter les meilleurs joueurs enclins à évoluer dans le championnat de France ou contraindre les qataris à renflouer les caisses de l’Etat.

Reste donc à s’interroger quant à la légitimité d’une entité sportive à figurer dans un championnat alors qu’elle n’est pas soumise aux mêmes règles que ses concurrents. Poser la question revient à y répondre de manière limpide. Evidemment, l’exception monégasque est dramatique en termes de l’égalité des participants à la compétition qu’est le championnat de France de Football. Néanmoins, la situation est insoluble.

L’AS Monaco est assujettie aux mêmes règlementations que les autres clubs français. Affiliée à la Fédération Française de Football depuis 1924, l’AS Monaco est soumise à l’ensemble des réglementations concernant les clubs de football français, qu’elles émanent de la FFF, de la Ligue Professionnel de Football ou même de la DNCG. Monaco défend les intérêts du championnat de France lorsqu’il concoure à des compétitions européennes. Bref, l’AS Monaco est un club du championnat de France à part entière. Les supputations sur une éventuelle intégration de Monaco à la Série A, ne répondent pas à la logique diplomatique de l’Etat monégasque, ni à la réalité empirique internationale. Alors que le G20 n’est pas parvenu à contraindre la principauté à lever les doutes sur son respect de la transparence financière et fiscale, il est peut probable de voir la principauté modifier son régime fiscal au profit de l’égalité d’un championnat sportif qui reste un intérêt mineur pour la principauté comme en atteste son retrait du club.

La domination de Monaco qui semble inéluctable tant que Ribolovlev restera à la tête du club ne manquera pas de soulever le questionnement de la légitimité de sa présence dans le championnat de France. Le questionnement restera vain, les futurs questeurs le savent dès à présent mais au travers de l’exception monégasque ils chercheront à dénoncer les prélèvements obligatoires français qu’ils jugent trop lourds. De là à obtenir l’abandon d’une promesse de campagne électorale…