A huit ça serait mieux?

debats sports image par defaut
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Lors de l’annonce du parcours du prochain Tour de France, Christian Prud’homme avait enjoint les équipes à rejoindre le Mouvement Pour un Cyclisme Crédible. Dans le contexte de la destitution des sept titres de Lance Armstrong et face à un parcours exceptionnel, une autre proposition de l’organisateur de la Grande Boucle est passée plus inaperçue : inviter des équipes de 8 et non plus 9 coureurs.



Christian Prud’homme avait alors présenter l’idée comme suivant : « dans l’absolu on ne se plaindrait pas d’avoir un coureur de moins dans chaque équipe, d’abord pour une question de sécurité, ensuite pour que la course soit un peu moins cadenassée ».

Plus de sécurité ?

L’argument du plus de sécurité est à relativiser par une série de deux observations.

Une réduction du nombre de coureurs à 8 par équipe ouvrirait la possibilité de retenir une, deux voire trois équipes supplémentaires. Il serait politiquement difficile de résister à la tentation et aux pressions à une ouverture à de nouvelles structures qui pourraient assurer leur pérennité financière par une participation au Tour de France.

Quand bien même, le passage à 8 coureurs par équipe serait acté sans la contrepartie d’une présence de plus de 22 équipes, le peloton passerait d’un effectif de 198 coureurs à 176. Ces 22 coureurs en moins seront-ils décisifs lorsque les conditions de course seront exécrables ou quand la course se corsant les coéquipiers voudront accompagner en bloc leur leader en tête de course ? Il est permis d’en douter. L’essentiel des chutes qui émaillent la saison cycliste ne trouvent pas leurs origines dans un peloton trop étoffé mais dans la nervosité des coureurs et dans la volonté d’accompagner en nombre le leader de l’équipe en tête de course. A ce titre, la suppression des oreillettes dans lesquelles les directeurs de course somment, en dépit du bon sens, à leurs coureurs de se porter en tête de peloton serait une réforme bien plus significative afin de renforcer la sécurité des épreuves cyclistes.

Reste donc à analyser le second volet de l’argumentation de Christian Prud’homme, l’impact sur les stratégies de course de la réduction de 9 à 8 coureurs les effectifs de chaque équipe engagée.

Des courses moins cadenassées ?

L’intérêt majeur de la réforme serait donc de libérer un peu les stratégies de course de la domination d’une équipe sur l’ensemble du peloton. En soit, avec 8 coureurs le contrôle de la course est naturellement moins aisé qu’avec 9 hommes. Toutefois, l’ironie du sort a livré une expérience grandeur nature de la réforme proposée par l’organisateur de la grande boucle lors de la dernière édition du Tour de France. En effet, l’équipe Sky s’est vue privée d’un de ses hommes dès la troisième étape du 99ème Tour de France. Le biélorusse, Siutsou pris dans une chute entre Orchies et Boulogne sur Mer a été contraint de quitter la grande boucle précipitamment. L’abandon de celui qui devait être un des maillons forts du train de la Sky en montagne a laissé Bradley Wiggins avec 7 équipiers parmi lesquels Mark Cavendish et son poisson pilote Bernhard Eisel. Tout le monde connaît la suite de l’histoire. Les Sky ont dominé comme personne depuis la fin de l’US Postal. Bradley Wiggins a remporté le Tour de France devant son coéquipier Christopher Froome. Sans oublier que les britanniques ont remporté six victoires d’étapes dont 3 grâce à leur champion du monde de sprinteur. 8 coureurs sont alors largement suffisants à cadenasser une course pour peu que les adversaires semblent s’en accommoder.

Il convient donc de pousser la réforme plus loin. Passer de 9 à 8 coureurs par équipe n’apportera aucun changement structurel. Quoi qu’en dise les opposants à une telle initiative, le passage de 9 à 8 cyclistes n’entraînera pas la fin des équipes polyvalentes.

La fin des équipes polyvalentes ?

Deux séries d’arguments ont été avancées à l’encontre de la proposition de la réduction du nombre de coureurs par équipe. Le premier argument tient quant à la non adéquation de la réforme avec la situation. Si les courses sont cadenassées la composition des équipes ne serait pas un facteur déterminant. Le Giro ou la Vuelta donnant lieu à des scenarii plus ouverts. Ce constat est à discuter. Les participants aux trois épreuves ne sont pas nécessairement les mêmes et le prestige du Tour de France sans rapport avec les deux autres grands tours. Par ailleurs, les coureurs n’y arrivent pas nécessairement avec le même niveau de préparation et de forme. Lorsque le Giro ou la Vuelta font l’objet d’une planification en amont par un ou des leaders, ils donnent lieu à des scenarii tout à fait similaires à ceux auxquels on assiste en juillet. Le Giro et la Vuelta[1] de 2008 ont été maîtrisés de bout en bout par Alberto Contador et les Astana.

La seconde critique formulée à l’encontre d’une réduction du nombre de coureurs par équipe engagée sur le Tour réside dans la possible mise à l’écart de certains coureurs par des équipes contraintes de faire des choix. Ainsi, Jacky Durant désormais commentateur pour Eurosport estime que si la réforme avait été adoptée avant le départ du dernier Tour de France, l’équipe Sky n’aurait pas emmené Mark Cavendish sur la grande boucle. Une nouvelle fois, il est permis de douter de l’analyse. Mais elle se répand au sein des managers des équipes dites polyvalentes. Ainsi, le directeur sportif de Lotto-Belisol, Hermann Frison est dubitatif :

Pour nous, ce ne serait vraiment pas une bonne affaire étant donné que notre équipe a la particularité de miser sur plusieurs tableaux au Tour de France. Avec VDB pour le classement général et avec André Greipel pour les sprints. Sachant que nous avons besoin de deux à trois coureurs pour former un train pour les sprints, qu’il faut des gars pour tirer le peloton pour favoriser une arrivée massive et qu’un leader pour le général comme Van den Broeck a aussi besoin de plusieurs coureurs à ses côtés, un homme en moins au départ du Tour, cela serait très dur à gérer. Et si on perd un coureur sur chute en début de Tour ou si un de nos gars est malade, ce serait très compliqué à six ou à sept.

Une nouvelle fois, on peut s’appuyer sur l’expérience de la Sky de l’an passé pour affirmer que les craintes de Frison sont caduques. Les hommes de Brailsford ont été en mesure de porter leurs deux leader aux deux premières places du classement général et d’assurer des arrivées au sprint pour Mark Cavendish. Les autres en seront capables. D’autant plus qu’il ne faut pas oublier que pour contrôler des échappées, les coéquipiers de sprinteurs sont rarement seuls.

Que les opposants à la proposition se rassurent. Le passage de 9 à 8 coureurs n’est pas de nature à bouleverser les stratégies de courses ni à décadenasser les scenarii des grands tours. L’impact de cette réforme est indolore en termes de  gestion de course et inefficace en matière de sécurité. Mais si elle devait être la solution pour inviter une ou deux équipes supplémentaires sur les grandes courses, il convient de l’adopter dès à présent. L’internationalisation du cyclisme invite à la multiplication des structures. Leur ouvrir les portes du Tour favoriser leur pérennité économique.

Pour décadenasser des courses où la rationalité économique inhibe la prise de risque ce n’est pas à huit qu’il faut réduire les équipes mais bien à 7 ou 6 coureurs. Les derniers Jeux Olympiques de Londres ont démontré que des effectifs de 6 coureurs aussi talentueux soient-ils ne peuvent contrôler une course. Au nez et à la barbe des britanniques, des espagnols et des allemands, Vinokourov est allé chercher le titre olympique. Preuve que la réduction du nombre de cyclistes par équipes est une réforme urgente mais aussi qu’elle n’est pas la seule.


[1] Lors de la Vuelta 2008, Alberto Contador s’est imposé avec 46 secondes d’avance sur Levi Leipheimer qui était alors son…coéquipier. Carlos Sastre était lui à plus de 4 minutes. En Italie, l’espagnol avait devancé de 2 minutes un Ricardo Ricco qui sera attrapé par la patrouille lors du Tour de France de la même année.